Gya Pa Chow Festival au Ladakh
entre héritage bouddhique et art équestre
Aujourd’hui, on vous emmène découvrir un événement unique : le Gya Pa Chow Winter Horse Festival, aux côtés de Dawa, habitant du petit village de Gya, qui jongle entre ses casquettes de photographe sur Instagram et de cavalier.
Ce festival se déroule dans le district de Leh, niché dans les hauteurs de l’Himalaya. Ici, entre traditions ancestrales, paysages époustouflants et rencontres authentiques avec les communautés locales, c’est une véritable plongée dans le bouddhisme traditionnel et l’énergie vibrante du Ladakh, à plus de 4000 mètres d’altitude. Cet événement équestre, célébrant la nouvelle année, se tient en plein hiver himalayen, dans une ambiance à la fois intense et magique.
Sur ces mots, je vous laisse découvrir notre échange, riche et sincère, en espérant qu’il vous fasse voyager au cœur de l’âme du Ladakh.
Bonjour Dawa, peux-tu te présenter et me parler un petit peu de ton village ?
Alors, je m’appelle Dawa et je viens du village de Gya. J’adore partager des aspects de mon village, mais aussi de la région du Ladakh en général, à travers la photographie, que je publie sur les réseaux sociaux.
Gya est le plus ancien village du Ladakh. Au 9e et 10e siècle, c’était même la capitale et le siège du gouvernement du premier roi Mon. Il s’appelait Gyapacho. C’était un homme très connu, réputé pour sa force et passionné de chevaux.
Aujourd’hui, à Gya, je pense qu’il y a environ 400 à 500 chevaux. Chaque foyer en possède, et moi-même, j’en ai cinq chez moi. D’ailleurs, je suis aussi cavalier.
Et Gya se situe loin de la ville de Leh, tu y vas régulièrement ?
C’est à environ 145 km, et il y a une route pour y accéder.
Et oui, j’y vais très souvent.
Bon, et alors, peux-tu me parler un peu du festival ?
Alors, comme chez vous, ici nous avons une fête qui représente un peu Noël, c’est le Losar. Cela fonctionne par rapport au calendrier tibétain, et le Losar représente la fin de l’année. Dans le bouddhisme, on croit que dans chaque maison il y a des esprits, et c’est pendant le Losar que l’on prie pour eux.
Les esprits, c’est quelque chose de positif dans le bouddhisme ?
Oui, c’est très positif. Si nous les prions, c’est pour les renouveler pour la nouvelle année.?Chaque famille ici a des esprits différents, et ce sont eux qui les protègent. Donc, tout le monde se regroupe pour faire les prières et apporter des offrandes.
Alors, à quel moment montez-vous à cheval ?
Les jours suivants, qui correspondent aux premiers jours de l'année, nous rendons visite à nos familles à cheval, accompagnés des chefs. Sur notre chemin, nous faisons aussi halte à plusieurs endroits pour prier. D’abord, nous visitons la grotte de Sasoma, un lieu de méditation sacré. Au 16e siècle, le grand lama Tagsang y a médité, ce qui en a fait un site très réputé. Depuis, de nombreux villageois viennent s’y recueillir. Ensuite, il y a le monastère de Gya, qui a été fondé au 14e siècle par le lama Tagsang. Ce monastère abrite des moines qui prient pour les chevaux et leurs esprits, tout comme nous le faisons dans nos maisons. On y trouve également une statue de Bouddha, souvent associée à l’esprit d’un cheval. Les habitants disent que cette statue représente symboliquement le lien spirituel avec les chevaux, dont la présence dans la vallée est essentielle. Leur perpétuité est très importante. Après ces moments spirituels, nous visitons nos familles en leur apportant des cadeaux, un peu comme cela se fait chez vous. Puis, nous partons en randonnée à cheval pour saluer d’autres familles. Puis nous redescendons pour organiser des courses et des démonstrations équestres. En tout, ces festivités s’étalent sur cinq jours : trois jours dédiés à la prière et aux visites familiales, suivis de deux jours consacrés aux randonnées et aux courses. Le festival existe depuis environ 1000 ans, il est vraiment très important pour nous.
D’ailleurs, quelle est l’origine de ce festival ? Y a-t-il une signification spirituelle ou religieuse particulière associée ?
Avant, le Ladakh n’était pas bouddhiste, il y avait d’autres religions. Et tu sais, les chevaux ont toujours été là, ils existaient avant la religion. Initialement, c’est un festival autour de la prospérité du cheval, qui, petit à petit, a intégré des coutumes et traditions bouddhistes pour protéger les habitants.
As-tu vu le festival évoluer au fil des années ?
Quand j’étais enfant, il y avait beaucoup plus de chevaux et de participants au festival. Aujourd’hui, le nombre de chevaux diminue, tout comme celui des personnes qui prennent part à l’événement. Ici, au Ladakh, nous devons aussi faire face à des prédateurs sauvages, comme les panthères des neiges et les loups, qui attaquent nos bêtes, ce qui aggrave encore la baisse du nombre de chevaux. En plus de cela, les jeunes générations s’intéressent moins à nos traditions. Beaucoup partent étudier en ville et reviennent rarement au village. Ce sont surtout les hommes plus âgés qui continuent à nous rendre visite. Pour préserver cette fête, une règle a été mise en place : chaque famille doit participer avec au moins un cheval, afin d’assurer la présence d’au moins 50 chevaux. Pour faire vivre la fête !
Quelles sont les coutumes et activités qui ont lieu pendant la fête ? J’imagine qu’on doit y voir des danses, des chants ou encore des costumes traditionnels ?
Nous avons plusieurs traditions lors du festival. Par exemple, un moine participe à la course à cheval avec un bâton à la main, et il doit casser un objet posé au sol. Il y a aussi des personnes qui déposent de l'argent sur le sol et doivent les ramasser à la main une fois qu’elles sont à cheval.?Nous aimons aussi montrer la vitesse de nos chevaux, un petit peu de galop, mais nous pratiquons généralement plus le trot, un peu comme en Italie, je crois. (rires). Tout le monde prend part à la fête, des plus jeunes aux plus âgés, et chacun a un rôle à jouer. Il y a également une danse traditionnelle appelée Apo Api. Bien qu’elle ne fasse pas spécifiquement partie du festival, nous la dansons tout de même. Pendant cette danse, nous portons des masques et des habits traditionnels. C’est à ce moment-là que les villageois passent de maison en maison pour demander des dons et des offrandes. Cela ressemble un peu à ce qui se fait lors d'un mariage, ou si quelqu'un doit acheter une voiture ou attend un enfant, on demande de l’argent pour l’occasion.
Quels sont les préparatifs pour ce festival et combien de temps durent ces préparatifs ?
Avant la fête, les participants préparent leurs chevaux en les décorant, souvent avec des tapis colorés, pour qu'ils soient bien visibles.?Dans chaque famille, on prépare des offrandes pour les prières et pour accueillir les visiteurs. Il y a aussi beaucoup de personnes qui s’occupent de la cuisine et d’autres qui se préparent pour les danses.
Quelle est l’atmosphère générale pendant le festival ?
(rires) Parfois, c’est un peu rigolo, car il y a des gens qui boivent beaucoup de Chang, la bière locale. Comme les gens sont alcoolisés, ils tombent pendant la fête ou pendant la course. Parfois, ils tombent à plusieurs reprises. Les gens sont vraiment heureux et ils rigolent. Comme les gens s’amusent et dansent, je peux vraiment dire que c’est joyeux.
Y a-t-il un moment particulier ou un rituel que tu aimes particulièrement ?
J’aime beaucoup faire du cheval, et rendre visite à ma famille, c’est quelque chose de spécial, je trouve. Dans d’autres villages, les gens se déplacent en voiture, mais ici, ce que j’apprécie, c’est que nous soyons à cheval. Cela me plaît énormément, peut-être même plus que la fête elle-même.
Des visiteurs viennent-ils assister au festival ? Comment sont-ils accueillis ?
Oui, on a beaucoup de touristes qui viennent voir le festival, des touristes indiens ou même européens. Normalement, ils viennent pour les photos, car tu vois, avec les chevaux décorés, les vêtements traditionnels, ça plaît énormément. Il y a beaucoup de choses à voir et à photographier. Par exemple, je vois qu’ils aiment prendre des portraits, car ici, au Ladakh, à cette période, le visage des habitants dans le froid, c’est particulier, c’est joli. Et puis, il y a ceux qui aiment les chevaux, donc ils viennent les voir et regarder les courses. Parfois, ils participent un peu, ils cuisinent et dansent. Et puis, ils boivent du thé et viennent dans nos maisons. C’est un lieu idéal pour capturer l’hiver ladakhi, les activités spectaculaires autour des chevaux, où les cavaliers nomades locaux revêtent leurs magnifiques costumes traditionnels appelés les "Chawa Guys".
Quel est l’impact de ces visiteurs sur le festival et sur le village ?
Je pense que c’est une bonne chose, car, comme il y a des touristes, les habitants aiment plus participer au festival. Depuis plusieurs années, justement, des habitants viennent et apprennent à monter. J’ai des amis qui ne savaient pas monter à cheval et qui ont appris depuis quelque temps. Le fait que des gens viennent prendre des photos et les partagent sur les réseaux sociaux, ou que le festival passe à la télé, fait perdurer l’événement. On voit de plus en plus de touristes venir et de plus en plus de locaux participer, et ça, c’est très important.
Ce festival joue-t-il un rôle dans le renforcement des liens communautaires ?
Alors, si tu veux, avant, dans le Ladakh, on utilisait les chevaux pour le transport, et cela a toujours été très important. Aujourd'hui, beaucoup de villages ont perdu leurs chevaux parce que la route a été construite dans les montagnes et qu’il y a de plus en plus de voitures. On a aussi quelques familles de nomades qui vivent dans la montagne avec leurs yaks et leurs chèvres et qui utilisent de plus en plus les chevaux. Et comme je te l’ai dit, on a aussi des animaux sauvages qui viennent les attaquer. Donc, pour nous, les chevaux sont un élément principal de notre vie ici. Si il n’y a plus de chevaux, on ne s’occupe plus, on ne travaille plus. Alors, je pense que le festival, tant qu’il existera, permettra aux habitants de perpétuer leur vie traditionnelle, et c’est primordial pour la communauté.
Aujourd’hui, le festival est-il en danger ?
Je ne pense pas. Avant, dans les années 2011-2012, le festival s’était presque perdu parce que plus personne n’y participait. Alors, depuis que l’on a choisi que toutes les maisons participent, ou encore que le festival soit sur les réseaux sociaux, il a recommencé et depuis, c’est beaucoup mieux. On essaie de toujours faire plus de fêtes, plus de danses ! Donc il y a beaucoup d'espoir.
Quels souvenirs personnels gardes-tu des éditions précédentes ?
Il y a environ 10 ans, j’avais un cheval très sportif et très fort. Malheureusement, aujourd'hui, il est mort. Il gagnait toujours et finissait toujours premier. J’étais très heureux et fier. Maintenant, j’ai un jeune cheval. C’est d’ailleurs la première fois que je vais participer au festival avec lui. J'espère qu’il sera à la hauteur. Je verrai bien. (rires)
Si tu devais décrire ce festival à quelqu’un qui ne l’a jamais vu, que dirais-tu ?
Je pense que je vais parler de la famille et de l’aspect très sportif. La plupart des chevaux sont sauvages ici, donc ce n’est pas du repos. (rires) C’est ce qui caractérise cet événement.
Très bien, Dawa, merci beaucoup. J'espère que tout va bien se passer cette année et j’ai hâte de voir toutes tes photos sur les réseaux sociaux !