Jour 3
Chaque matin, je contemple depuis ma fenêtre ces gigantesques montagnes pelées, nues, qui se dressent devant moi ; aujourd’hui, il me faudra les arpenter, à la recherche des chevaux qui, depuis plusieurs semaines, y vagabondent librement. Car c’est bien là le but de mon voyage : apprendre l’équitation au Ladakh. Nous partons tôt en direction de Rumtse, doù nous emprunterons le sentier des « poneymen », les cavaliers. Le ciel est d’un bleu très pur, et malgré le froid mordant la journée s’annonce exceptionnelle. Nous bifurquons vers la gauche, dans une petite vallée où le vent s’engrouffe allégrement. Le grand-père de Dawa emprunte un autre chemin : il nous faut diviser nos forces, afin de trouver les chevaux le plus rapidement possible – sous peine de devoir recommencer le jour suivant!
Avec Dawa donc, nous escaladons une « petite » montagne qui nous fait franchir, déjà, les 5000m d’altitude. Mon souffle se fait court, mais rien ne saurait me faire renoncer à cet instant : les paysages sauvages du Ladakh sont une motivation bien suffisante. Je ressens une excitation, et un sentiment d’abandon face à cette immensité, dépourvue de vie, d’arbres, de végétation. J’ai l’impression d’être un pionnier, découvrant une planète étrange et qui m’est étrangère, une planète où la vie n’a pas encore pris racine.
Aucune trace des chevaux. Dawa n’est pas inquiet, je ne saurais donc l’être. Nous continuons notre périple en direction de la montagne qui surplombe les hauts-plateaux, un sommet culminant à 6100m. Mais alors que j’entrevois cette randonnée épique, nous apercevons sept ou huit chevaux qui paissent à flanc de montagne. Dawa se rapproche et me confirme que 2 de ses chevaux font partie du lot. Deux sur cinq! Les problèmes commencent : il est midi, nous sommes à 5300m d’altitude.
Où sont donc passés les autres? Dawa ne comprend pas, et m’explique qu’en général ils ne se séparent sous aucun prétexte. Qu’importe, la situation exige réaction : nous décidons de regrouper les chevaux et de ratisser la zone, à savoir les montagnes avoisinantes. Dawa me charge de ramener un cheval isolé. Je lui confie n’avoir aucune idée – ou presque – de la marche à suivre. Il me répète de ne pas m’en faire. Et en effet, la chose se révèle plus aisée que ne je ne me l’étais imaginée : les sifflements et les cris, que les êtres humains ont pratiqué depuis l’aube des temps, me viennent presque naturellement. Peut-être est-ce à force d’observer les muletiers guider les chevaux pendant les treks ; me voilà donc leur semblable, grâce à ce baptême du feu inédit.
Nous « ramassons » plusieurs autres chevaux de Sasoma et Gya en chemin ; l’un d’entre eux appartient à Dawa, mais deux autres manquent encore à l’appel. Et il faut songer à redescendre, car le soleil descend rapidement ; alors après avoir retrouvé le grand-père, nous prenons la décision de rentrer avec les trois chevaux, en espérant que les deux autres se soient simplement égarés – le grand-père a aperçu trois loups! La route est encore longue jusqu’à Sasoma, et nous sommes fourbus. Dawa me propose de monter le cheval de son père ; n’ayant qu’une expérience minime, je suis réticent. Il insiste ; je m’incline. La promenade est toutefois de courte durée : à peine installé, c’est le rodéo, et malgré une bonne résistance de ma part, je me retrouve les quatre fers en l’air, de retour sur la terre ferme, un peu vite à mon goût. Après une petite inspection, il se trouve que le cheval a une cicatrice ouverte sur le dos, et ne supporte pas ma présence. Ce n’est que partie remise, me dis-je, sachant bien que la chute fait partie intégrale de l’apprentissage. Et ma patience est récompensée à l’orée du village, alors que la nuit tombe : la jument de Dawa, bien plus docile, me transporte jusqu’au foyer sans renâcler. Quelle sensation, pensais-je, que de chevaucher et de pouvoir profiter des paysages du Ladakh au même moment. Cela augure de belles promesses, me dis-je. Mais déjà, d’autres priorités me viennent à l’esprit : enlever mes chaussures, prendre une douche, et puis dormir! Cette journée, aussi magnifique et riche fut-elle, m’a épuisé.