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Voyager on n’en revient jamais. Je vous écris pour prolonger l’instant, en garder une trace, tordre le cou à la fugacité.

Tsering, soeur de Stanzin Dorjai « Gya » et personnage principal du documentaire « la bergère des glaces » nous livre ses impressions sur la France, après son voyage en décembre dernier.

 

Clément: Vous voilà rentrée d’Europe. Que ressentez-vous aujourd’hui ?

Tsering : C’était un très beau voyage en France : je n’avais jamais quitté le Ladakh, donc c’était à la fois étrange et merveilleux. C’est un endroit tellement vert, propre, très beau…  Je n’aurais jamais imaginé faire un tel voyage un jour. Les gens là-bas m’ont tès bien accueillie. D’un autre côté pourtant, je suis très heureuse d’être de retour au Ladakh et être auprès de ma famille, de mes bêtes. Par contre ici le climat est très sec… c’est un peu difficile de se réadapter.

Clément : Quelles choses sont les choses qui vous ont le plus marqué pendant votre voyage ?

Tsering : Avant le voyage, j’appréhendais beaucoup l’avion, car je n’avais jamais voyagé donc c’était un peu stressant ; puis je réfléchissais à propos des gens, de la nourriture… Tout cela était à la fois excitant et très stressant. Je connaissais tout de même déjà Christiane (ndlr : Mordelet) donc je ne partais pas complètement dans l’inconnu. En France, il y avait tellement de choses incroyables. La première chose qui me vient à l’esprit est une anecdote : il y a avait ce petit bassin, dans un musée je crois, et nous pouvions observer les poissons sous l’eau. Et là tout d’un coup, des plongeurs apparaissent pour nourrir les poissons ! C’était extraordinaire, je n’arrivais pas à y croire. Globalement, j’ai été surprise par la technologie, les machines, comme les trains par exemple, ou dans les maisons : elles sont toutes bien équipées et confortables, et beaucoup de travail quotidien est rendue plus facile par des gadgets. Les toilettes et salles de bain sont très modernes… Dans la montagne, quand je pars pour plusieurs mois, je n’ai que ma tente ! (sourire). J’ai aussi visité des « Gompa » (temple) en France, et j’ai essayé d’imaginer en combien de temps ils avaient bien pu construire de telles choses, et avec quels architectes… Mais le plus fou c’était de voir à quel point tout était propre en France. Il y a des poubelles à chaque coin de rue, et tout le monde les utilise. Les gens ont une approche intellectuelle à propos de l’environnement, ils ne jettent pas tout par terre comme en Inde. J’espère que nous pourrons apprendre de cela car c’est une bonne chose. A chaque fois que Stanzin se rend à Gya, il essaie de faire comprendre à tout le monde cette idée, que jeter les choses par terre ne fait qu’empirer les choses ; maintenant je comprends mieux pourquoi. Nous devons nous prendre en main.

Clément : Je crois comprendre qu’à chaque fois que vous appelez votre frère aîné à Gya, vous prenez des nouvelles de vos bêtes. Pourriez-vous nous décrire cette relation si importante?

Tsering : (sourire) C’est vrai qu’en France, je pensais souvent à mes animaux restés au Ladakh : comment vont-ils, sont-ils bien nourris… Notre relation est forte car je m’occupe d’eux tous les jours depuis que je suis jeune, ils sont comme mes enfants. C’est un lien fort. Dans le bouddhisme, il est dit que nous ne devons pas penser qu’à nous-mêmes mais aux autres également ; ces animaux sont comme ma famille, donc je me dois de penser à eux aussi.

Clément: Vous avez été invitée par des bergers français pour partager votre savoir-faire, découvrir de nouvelles méthodes de travail aussi ; qu’avez-vous appris de cette rencontre ?

Tsering : Déjà j’aimerais les remercier pour leur accueil, cela a vraiment été une belle expérience, même si nous ne pouvions pas toujours communiquer comme nous le souhaitions ! (sourire) La traductrice ne parlait pas ladakhi… (pause) En France les bergers sont toujours accompagnés d’un chien pour diriger les moutons ; au Changthang (région est du Ladakh, ndlr) ils ont de tels chiens, mais pas chez moi à Gya, donc c’était intéressant de voir cette technique. Ils sont très attachés à leur chien, comme moi avec mes moutons. C’est pratique aussi, puisque le chien peut aller chercher les moutons seul dans la montagne, pas besoin d’y aller à chaque fois. J’ai essayé moi-même, nous sommes partis avec un jeune chien, mais il n’était pas bien préparé et il a attaqué les chèvres plutôt que de les regrouper (rires) ! L’entrainement est très important pour ces chiens, à ce que j’ai cru comprendre. A part les chiens, leur méthode pour tisser la laine m’a surprise : tout est fabriqué au village même. Ici au Ladakh, nous ne pouvons pas faire ça nous-mêmes, donc on vend le matériel en gros, aux artisans. En France tout est fait à la machine, et elles sont installées près des villages. Mais très franchement je ne suis pas certaine de la qualité ; le peu de choses que l’on tisse nous-mêmes au Ladakh est de bien meilleure qualité, je pouvais le sentir au toucher. La laine de nos chèvres est sûrement meilleure, aussi (pashmina, ndlr). Il y a juste une chose à laquelle je réfléchissais, liée à ce que les animaux broutent en France. C’est très vert, oui, mais je n’y ai pas trouvé l’herbe qui pousse chez nous, pour le Pashmina. Nos ancêtres disaient que c’était la clef pour obtenir de la bonne laine sur nos chèvres, elle s’appelle la « Gyabronelgar ». Peut-être est-ce pour cela que la laine est différente. Tout est très différent de ce que je connais au Ladakh. Les bergers en France ont une vie très confortable, et ne vivent pas en permanence dans la montagne par exemple. Certains font plusieurs métiers à la fois, tandis qu’au Ladakh une fois que l’on devient berger, c’est pour la vie. Ce n’est pas facile de comparer.

Clément : Si vous aviez un conseil à donner aux bergers français, que leur diriez-vous ?

Tsering : Ils n’ont pas besoin de mes conseils, ils sont tellement en avance sur nous… Mais je me répète, je pense que l’usage des machines n’est pas une bonne chose pour tisser la laine : rien ne vaut le travail à la main. J’espère que j’ai pu leur faire découvrir certaines choses, moi aussi (sourire).

Clément : Pour finir, parlez-nous de votre connexion avec  Stanzin : que ressentez-vous en le voyant réussir en tant que réalisateur ?

Tsering : Stanzin… à l’époque où il partait avec moi dans la montagne, je ne pouvais absolument pas imaginer que son destin l’amène là où il est aujourd’hui. Nous savions qu’il avait un talent pour voir certaines choses, mais tout cela est vraiment incroyable. Cela me rend très fier, qu’il puisse faire découvrir notre culture au monde entier. Aujourd’hui, d’une certaine façon, il nous représente tous. (Ladakhis, ndlr) Personnellement, je ne pourrai jamais assez le remercier pour m’avoir fait vivre cette expérience, et encore une fois, je suis très fière de lui.

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