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Voyager on n’en revient jamais. Je vous écris pour prolonger l’instant, en garder une trace, tordre le cou à la fugacité.

Au Ladakh, ceux qui tracent les chemins dans la montagne sont les cavaliers et leurs troupeaux. Les guides sont venus ensuite. Alors que nous remontions la rivière de Phirtse Chu qui coule à l’ouest de la chaîne de Korzok dans le Changthang, le rythme de la marche nous a semblé trop tranquille. C’est alors que Dorjey s’est dit que nous allions rejoindre Rajun Karu et au-delà le lac Tsokar, en traversant la montagne par le col de Barma la 5 780m. Le tout était de savoir quelle voie emprunter. Il a alors interrogé les bergers qui justement partaient le lendemain et nous ont invité à nous joindre à eux. Au réveil, nous avons quitté le cours de la rivière pour obliquer à droite le long de l’un de ses affluents et rejoindre leur camp. De là, nous sommes montés au col 5020m qui ouvre l’accès aux reliefs internes du massif. Du col, notre regard embrasse une succession d’ondulations plus ou moins accusées, il faut oublier la tranquille remontée de la rivière, l’activité sportive commence.


Nous entamons la descente sur les chemins de terre et de poussière, le soleil derrière nous jette une lumière vive sur les vastes espaces qui s’étendent devant nos yeux, une profonde sensation de liberté nous étreint. Cette ivresse nous gagne souvent et nous amène à nous élancer à corps perdu dans cet espace, une façon de jouer à jeu égal avec lui. Mais cette fois, d’autres courent plus vite que nous, nous nous faisons doubler par des vagues successives de troupeaux, de moutons, de chèvres, et de yaks qui galopent au devant des bergers, magnifiques, sur leurs chevaux. Les bêtes avancent en meuglant tandis que les bergers les hèlent, crient et sifflent derrière eux dans un tourbillon de poussière et de lumière. Dépassés, nous assistons à ce spectacle, fascinés, puis nous leur emboîtons le pas, notre trek est entré dans une nouvelle dimension, nous marchons sur les traces des bergers. Nous suivons les chemins creusés par leurs passages successifs et traversons le premier plateau creusé par un torrent. En contrebas paissent des yaks sur une étendue herbeuse. A l’appel des hommes à cheval, ils se hâtent de gravir la pente pour rejoindre le mouvement général. Nous marchons plus lentement qu’eux mais nous progressons quand même, nous montons, nous descendons, épousant les irrégularités du reliefs. Au loin, nous les voyons arrêtés sur le rebord du plateau. Ils ont mis pied à terre tandis que leurs bêtes, par centaines, paissent en contrebas. Le nouveau plateau est très beau avec ses horizons verts, jaunes, ocres.


A l’arrivée, je joue de l’appareil photo, les bergers rient « démo, démo, maldémo ! », c’est beau, c’est très beau, se moquent-ils gentiment. Ils s’amusent de mon prénom puis testent ma capacité à retenir les leurs. Ici la plaisanterie fait partie du mode de vie et de survie. A force de courir la montagne, leur visage est modelé à son image, sombre et creusé de reliefs pas toujours symétriques, mais ils ont le sourire omniprésent et semblent se jouer des contraintes. Nous pique-niquons au milieu des yaks puis nous reprenons la route, droit devant nous, traversant le lit des torrents aujourd’hui secs, jusqu’au lieu dit de Shama alimenté par un torrent en eau. Le cours d’eau une fois franchi, bêtes et hommes doivent gravir une pente raide en forme de S renversé. Les yaks sont à la fois étonnamment agiles face à la montée, et maladroits pour suivre le chemin, là encore les injonctions des bergers sont nécessaires, tandis que les chiens semblent faire de la figuration. Certains yaks perdent pied et menacent de tomber droit dans l’eau, mais non, ils se rattrapent et remontent à l’assaut de la pente.



A mon tour, je peine dans cette terre poudreuse, je regrette mes bâtons. Nouvelle traversée de plateau jusqu’à Barma où nous laissons les bergers et les yaks à leurs pâturages tandis que nous remontons la rivière vers le camp de base du col. Mais après quelque temps de marche, fatigués, nous finissons par monter le camp sur le premier espace vert accueillant. Au matin, nous reprenons notre progression. Quelque temps après, Dorjey me dit qu’il voit de la fumée. Les bergers nous accueillent en riant nous demandant si nous avons bien dormi. Ils nous ont doublé au petit matin et se réchauffent maintenant autour de petits foyers construits en pierres et alimentés par du crottin séché qui diffuse une odeur si particulière. L’eau bout, ils nous offrent le thé et la conversation s’engage sur la route à suivre. Cette fois je sors la carte, qui devient vite un centre de curiosité. Ils n’en utilisent jamais, et ne savent sans doute pas lire. Nous nommons les lieux ensemble afin de construire la relation entre la carte et le territoire. Nouvelles plaisanteries, nouveaux rires, ils connaissent la montagne pour la parcourir sans cesse, aussi cette représentation leur semble étonnante. Nos chaussures de montagne et mon bâton télescopique deviennent à leur tour des sources d’interrogations. J’en explique le fonctionnement, et devant l’intérêt suscité je le laisse à celui qui semble diriger leur assemblée. Je sais qu’il peut être utile aux personnes âgées restées au camp. Je suis vivement remerciée, mon don a fait mouche. Nos chemins enfin se séparent, nous nous dirigeons vers le col de Barma la tandis qu’eux décident de couper encore à travers la montagne pour atteindre directement Nuruchan. Pour les troupeaux transhumants, rien ne vaut les versants potentiellement nourriciers, tandis que d’ordinaire le marcheur emprunte les vallées et des cols pour franchir les massifs. Deux façons de parcourir la montagne. Celle des bergers est magnifique, mais elle nous a été aussi nécessaire car ils ont été ceux qui nous ont ouvert le chemin.

1 Commentaire

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